Le jardin était en restanques, canevas d’espaces clairs et de zones d’ombres reliés par un jeu d’escaliers, de passages, de bosquets et de terre battue.
Deux grands platanes faisaient leur loi sur l’esplanade centrale ; plus à l’ombre, se trouvaient lavoirs condamnés entrouverts, des rampes, des théâtres de jour – alcôves de briques et de ciment – et des cathédrales de broussaille.
Mes parents avaient acheté la maison alors qu’ils étaient jeunes mariés, et que mon frère était en bas âge. Une dame s’était présentée à l’étude où travaillait mon père, elle souhaitait vendre cette ancienne bastide marseillaise, où quatre familles vivaient sans eau.
La maison se trouvait sur le domaine de ce que nous appelions Le château, une maison de maître dont, paraissait-il, un souterrain partant de nos caves pouvait accéder dans le secret.
L’espace était fermé au nord, où quelques rares fenestrons protégeaient du mistral, à l’ouest par un mur haut de plusieurs étages, et terriblement dangereux à l’est, ou une ligne de chemin de fer sans barrière avait place, et que nous nous empêchions de regarder.
Au sud, un chemin qui, depuis la route, n’appartenait qu’à la maison, tracé au couteau dans la nature archaïque et primitive qu’aucune lumière n’allumait la nuit.
Nous ne pouvions voir la mer au-delà des installations portuaires que depuis une terrasse en triangle, sans repos et sans ombre.
Nous étions en ville, dans un espace inversé, entouré de murs invisibles, où rien n’était accessible et où tous les passages devaient se révéler.
Il m’a fallu du temps pour partir à la rencontre de cette topographie : j’ai grandi dans les fictions – mon terrain de jeu étaient les livres, la bibliothèque familiale, son tapis doux et épais, son Littré, le bras replié sous ma joue – lorsque je ne partais pas a l’exploration des caves où je tombais toujours sur une nouvelle curiosité : jambe de mannequin, boîtes de perles, anciens francs, outils inconnus.
J’étais jeune fille lorsque nous avons avons appris que ce lieu vécu que de nous, serait détruit avec son jardin quelques années après.
D’un jour à l’autre, je me suis retrouvée dehors, les bras nus au plus près des broussailles, a partir à la découverte ce qui allait devenir notre monde englouti, une parcelle de terrain où les rêves et le réel se confondent.
J’étais devenue la Faustine de ma propre invention de Morel, à la fois architecte de mes allées et de mes rues, et pleine passante d’un lieu qui ne le serait plus.
Ainsi a débuté ce qui allait devenir – je ne l’ai compris que bien plus tard – les fondations de cet atelier, et la constitution de ses collections.
L’élan sera constant, intrépide, m’emmenant dans bien plus d’aventures que je ne pouvais le prévoir. Aujourd’hui, je pousse le portail de la Villa Morel, inaugurant le lieu, la maison de mes écarts.
Aux jardins, aux passages, aux possibles ; aux aventures, aux tout proches, si précieux, mes inestimables compagnons.
Marseille / Berlin, mai 2011