Le petit enfant dort. Nous le roulons contre le bord du berceau, ourlé de mousse et de coton. Nous lui posons la main sur le dos, puis les cuisses et la tête, le quittant d’une caresse. De la même façon que nous l’embrassons, l’allaitons ou le berçons, nous posons dans son sommeil des parois douces contre lesquelles il peut se laisser porter, et se sentir un peu moins perdu dans un espace si grand.
Il y a encore peu, le monde de l’enfant était constitué d’eau, de reflets et de flottements, de battements de cœur et d’artères réguliers, assourdissants. L’enfant y dérivait, nourri et porté, se confondant avec son environnement, devenant lui-même le lieu, le bruit, l’organe qui se transforme et grandit avec lui.
Et le jour vient où la poche se perce, le monde s’écoule et l’enfant, ébloui, naît à l’air, au jour et au besoin. Sur notre torse, les doigts encore bleus, notre peau et notre chaleur l’apaisent et le bordent. L’enfant s’abandonne dans cet espace, et forme ainsi avec nous un nouveau lieu, un embrassement mouvant, propre à consoler du vide.
Ces lieux, l’enfant en cherchera d’autres quand il grandira : coins, recoins, cabanes et jardins, grottes, ventres de baleine et puits, sous une couverture ou ses paupières fermées. Il fera de ces espaces habitables, bordés, des espaces habités.
Ces lieux se recouvriront de merveilleux, un mélange d’histoires et de mystère. Il les reliera entre eux, établissant un paysage en galeries, où les signes se relient et forment un espace plus large, un monde et un être au monde – un individu.
- “Matrice”, juillet 2013
- Voir aussi “Le lieu de l’eau“, Villa Morel, février 2012
- Egalement : Pinocchio, Moby Dick, Lygia Clark, Wilfried*, Monumenta