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Collection Morel à Bruxelles, nouveau site et fermeture de Villa Morel

Collection Morel Poster Light

Nous voilà de retour ! Après quelques mois de mise en place, nous présenterons nos recherches à PointCulture Bruxelles, rue Royale 145, du 8 au 31 mai 2014. Pour l’occasion, nous ouvrons un nouveau site, Collection Morel, qui présente la programmation et reprend l’ensemble du projet, entraînant, de fait, la fermeture au moins temporaire de ce site Villa Morel comme carnet de recherches. Vous pouvez continuer à suivre nos diverses aventures et recherches sur Studio Walter, notre maison-mère. On vous retrouve à Bruxelles ou ailleurs ! Et vous remercions pour votre lecture et votre suivi ces trois dernières années. Avec des baisers ! Villa Morel

  • Affiche : Studio Walter (Marie-Pierre Bonniol, Delphine Duprat, Stephanie Piehl), 2014.

Nymphe en intérieur

  • “The Nymph of Amalthea, 1780s”, source aaqindex, via Bruno Meillier / Les proliférations malignes
  • Hella Haasse, “La source cachée”, Actes Sud / Babel, 2000
  • Gilbert Lascault, “Figurées, défigurées – Petit vocabulaire de la féminité représentée”, 10/18, 1977
  • Egalement : fontaines, nympholepsie, nymphées

L’irruption de la fiction

Cuchi White Bologne001

“Le trompe-l’œil n’est qu’un piège qui nous renvoie à notre propre regard, à la manière dont nous regardons – et occupons – l’espace. Si une “vraie” maison s’élevait là où il n’y a qu’un mur, si des vrais jardins à la française s’étalaient au-delà de ces grandes baies vitrées, si de vraies fenêtres habillaient ces façades, peut-être ne prendrions-nous même pas la peine de les regarder. Ce qui arrête notre regard, un court instant, c’est l’irruption de la fiction dans un univers auquel, à cause de ce que l’on pourrait appeler notre cécité quotidienne, nous ne savons plus prêter attention. En ce sens, les trompe-l’œil fonctionnent un peu comme les mots croisés : ils posent une question dont la réponse est tout entière contenue dans l’énoncé qui la formule, mais qui demeure énigmatique tant que l’on n’a pas opéré le minuscule glissement de sens qui la résout dans son évidence imparable.”

  • Texte : Georges Perec, photo : Université de Bologne, par Cuchi White, “L’oeil ébloui”, Chêne/Hachette, 1981

“Je pense à toi si fort que les murs sont des forêts”

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Les lieux de quiétude (Rolf Julius)

“J’ai longtemps réfléchi sur comment créer des espaces où l’on peut se retirer et y trouver du repos, où l’on peut voir, entendre et se concentrer, où l’on est coupé du monde extérieur tout en y participant. Ils doivent être simples, vides et créer une ambiance de silence, avec l’aide de l’art ou de la musique, ou les deux combinés.

Je cherche des endroits qui peuvent être cachées, dans des appartements privés, dans des bâtiments publics, qui peuvent être dans la cave, ou solitaires dans une forêt, près d’un lac, ou dans la ville bruyante. Ils doivent être éparpillés partout : à Berlin, où j’habite, à Tokyo, Los Angeles ou New York ; le monde entier pourrait être couvert d’un réseau encore plus étroit de ces zones de calme, devenant des niches artistiques écologiques pour chacun.

On devrait y avoir accès à des moments précis et avoir le droit d’y entrer seul. Selon moi, le simple fait que des zones de tranquillité existent peut aider à calmer ce monde. Les lieux de quiétude ne sont pas nécessairement acoustiquement silencieux ; ils peuvent, au contraire, être bruyants ; ils sont donc tranquilles à une échelle différente. Au sein de la Société pour l’Art Actuel à Brême, en début d’année, j’ai fait mes premiers pas vers ce genre d’espace. Musique de Chambre n°1 en était le titre : une petite pièce vide à l’exception de deux colonnes blanches rectangulaires surmontées d’enceintes. Les enceintes étaient dirigées vers le milieu de la pièce, devant il y avait une chaise où l’on pouvait s’asseoir et, avec la musique dans son dos, regarder, à travers les fenêtres, le Pont Weser avec toute sa circulation et le fleuve. Dans ce cas, la musique était très importante, si importante que l’on n’était pas sensé se concentrer dessus, et l’on avait d’autant plus de raisons de regarder à travers la fenêtre. La musique émanant des deux enceintes fusionnait au niveau du cou de l’auditeur, et il le sentait précisément à cet endroit.

Je réfléchis à d’autres lieux de ce type, certains sans fenêtres, des pièces contenant une seule œuvre : une plaque de fer flottante, par exemple, qui semble flotter à travers la musique, flotter calmement… Je réfléchis à des endroits dans lesquels on peut se retirer seul, des pièces qui créent une ambiance de silence, mais pas un silence stupide… comment dire… un silence actif, une sorte d’état de suspension, de quiétude.

Il y a plusieurs œuvres que je pourrais confier à de tels lieux, de simples textes peut-être, ou des pigments jaunes et bleus, ou des enceintes qui respirent…”

  • Rolf Julius, 1987, sur le site de Cortex Athletico, via Nicolas Giraud. Photo : Archives Rolf Julius, Cortex Athletico.
  • Egalement : Virginia Woolf (chambres à soi), Yves Citton (vacuoles) et Harmut Rosa (chambres de décélération).

Matrice (essai sur le lieu)

Le petit enfant dort. Nous le roulons contre le bord du berceau, ourlé de mousse et de coton. Nous lui posons la main sur le dos, puis les cuisses et la tête, le quittant d’une caresse. De la même façon que nous l’embrassons, l’allaitons ou le berçons, nous posons dans son sommeil des parois douces contre lesquelles il peut se laisser porter, et se sentir un peu moins perdu dans un espace si grand.

Il y a encore peu, le monde de l’enfant était constitué d’eau, de reflets et de flottements, de battements de cœur et d’artères réguliers, assourdissants. L’enfant y dérivait, nourri et porté, se confondant avec son environnement, devenant lui-même le lieu, le bruit, l’organe qui se transforme et grandit avec lui.

Et le jour vient où la poche se perce, le monde s’écoule et l’enfant, ébloui, naît à l’air, au jour et au besoin. Sur notre torse, les doigts encore bleus, notre peau et notre chaleur l’apaisent et le bordent. L’enfant s’abandonne dans cet espace, et forme ainsi avec nous un nouveau lieu, un embrassement mouvant, propre à consoler du vide.

Ces lieux, l’enfant en cherchera d’autres quand il grandira : coins, recoins, cabanes et jardins, grottes, ventres de baleine et puits, sous une couverture ou ses paupières fermées. Il fera de ces espaces habitables, bordés, des espaces habités.

Ces lieux se recouvriront de merveilleux, un mélange d’histoires et de mystère. Il les reliera entre eux, établissant un paysage en galeries, où les signes se relient et forment un espace plus large, un monde et un être au monde – un individu.

  • “Matrice”, juillet 2013
  • Voir aussi “Le lieu de l’eau“, Villa Morel, février 2012
  • Egalement : Pinocchio, Moby Dick, Lygia Clark, Wilfried*, Monumenta

Paris, circuit électrique (sur Pierre Huyghe)

Pierre-Huyghe-The-Host-and-The-Cloud-2009-2010-Image-from-14-February-2010-Courtesy-of-Marian-Goodman-Gallery-New-York-and-Paris-Photo-by-Ola-Rindal

MOTEUR

“The Host and the Cloud” (2009-2010) est un film de Pierre Huyghe actuellement présenté dans le cadre de sa rétrospective au Musée National d’Art Moderne / Centre Pompidou, jusqu’au 6 janvier 2014. Pierre Huyghe est un artiste français né en 1962 reconnu internationalement.

Le film a été tourné au musée abandonné des Arts et Traditions Populaires de Paris au cours de trois journées de fêtes (Saint-Valentin, Halloween et 1er mai). Lors de ces journées, l’artiste active le lieu en rassemblant comédiens, caméras et amis et en ouvrant une situation où “tout ce qui a lieu est réel, rien n’est joué”, adjoignant le dispositif de services d’hypnotiseurs, magiciens et autres activateurs d’états de conscience modifiée.

C’est un film d’une durée d’1h30, présenté ici par Emmanuelle Lequeux pour le magazine 02.

BOBINE

Nous ne reprendrons pas le film : nous n’en avons vu qu’un peu moins d’une heure, ainsi que les photographies et le petit texte du catalogue feuilleté chez Séverine et Sammy, fortement impressionné par l’exposition et qui me l’a recommandée.

Nous pouvons, en revanche, reprendre son effet et l’observer afin de voir comment il forme circuit en nous, et quelles nouvelles branches en bifurquent.

INTENSITE

Le film est d’une intensité folle : constitué de situations hétérogènes, fantasmatiques, le lieu ouvert par Pierre Huyghe m’a bondi dessus comme celui de la pulsion et de l’inconscient.

En mettant en espace, en situation, des personnages, des fictions et des narrations capables de générer des comportements dépouillés, par couches, de leurs représentations ; en mettant comédiens et public dans un lieu dont il écrit la potentialité en y parsemant des éléments de situation ; en extrayant la représentation de la frontalité et en la proposant en immersion, dans un espace dans lequel les tracés sont libres et mettent, du coup, notre armure morale en vertige, Pierre Huyghe signe à la fois un lieu absolu et une oeuvre d’art totale dont seul un film peut présenter une représentation communicable de façon rétrospective.

“The Host and the Cloud”, comme dispositif, ouvre une brèche dans le réel, un temps dilaté cristallisé dans un lieu et casse autant qu’il active l’invention de Morel (1). Il ouvre une porte d’exploration vers les fantasmagories individuelles et collectives autant qu’il figure l’absurdité du réel (2).

C’est une œuvre très forte.

TranseHyp

TENSION

Le film a agit sur moi comme une injection à retardement, m’assaillant, dès le lendemain, à plusieurs instants, par un circuit ouvert par la belle librairie La Cartouche à Jourdain, et l’achat de “La transe et l’hypnose”, dirigé par Didier Michaux chez Imago, “De la projection” de Sami-Ali et les “Rudiments païens” de Lyotard.

Puis, plus tard dans la nuit, sous les toits et en compagnie, être de nouveau assaillie par les questions ouvertes par cette proposition et celle même de la pulsion, la façon dont le dispositif de Pierre Huyghe est tout à fait à l’opposé de celui de l’Encyclopédie de Jean-Yves Jouannais. Penser à Twin Peaks, sa loge blanche et sa loge noire, à la façon dont David Lynch, au-delà de ses procédés narratifs, marque un espace physique, dans la forêt, pour l’accès à la pulsion et à l’ombre et dans lequel Agent Cooper doit pivoter pour avoir accès à l’inconscient de la communauté. A la fête, à la faille, à la vrille, à la potentialité, et à Teddy Adorno qui n’aurait pas assez dansé. A tout ce qui ne s’épèle pas et qui, ce soir, explosait en moi.

La tête me tournait franchement : il fallait que j’aille me coucher.

CONDENSATION

Ouvrir doucement le lieu de mon sommeil, un large salon sous verrière très haut de plafond dont deux lampes éclairent l’espace de façon verticale depuis le haut de la pièce, formant des zones d’ombre comme des zones blanches, de biais.

De grandes plantes, et tout une batterie d’ustensiles, de pots et de réserves d’une cuisine déménagée, remodèlent l’ombre, en la redépliant en zones de luminosités, de réflexions différentes.

Mon matelas est au fond, orienté vers un cadre duquel je m’imagine pouvoir voir la lune. “Il y a du vivant dans cette pièce” me dis-je, en pensant à l’ombre, aux plantes et à leur invisible agitation ; à la lune que je croiserai peut être ; à la légère humidité de mes draps lorsque je m’y glisse. “Il faut que j’éteigne”.

RESISTANCE

Travailler, dès le matin, montre en main, à prendre des notes depuis le catalogue ouvert, au petit-déjeuner ; reprendre les schémas, se noter “Bataille”, et constater, en me douchant, en m’habillant très vite, que non seulement l’intellect mais aussi les automatismes m’ont rapidement rattrapée.

De là, m’engloutir dans la ville, dans son flot d’inconfortables contrariétés. Paris est une ville qui donne peu d’espace à ses habitants : tout m’y paraît toujours un peu plus étroit à chaque fois. Est-ce là le destin de tous ceux qui l’ont quittée ?

COURT-CIRCUIT

Au café, deux filles. Elles parlent de lieux, d’empathie, de transe, de rythme, de rêves, de ritournelles ; d’objets que l’on tourne dans ses mains comme support de la pensée et de ceux qui, comme des fusibles, permettent à un circuit d’être ouvert comme fermé, régulé (3). Je quitte Raphaëlle très heureuse de l’heure que nous avons passée ensemble, et de la qualité de l’échange qui est en train de se tresser.

ONDE

Au dernier rang de l’avion qui me ramène à Berlin, je lis, ensommeillée, le premier article de “La transe et l’hypnose” sur les possédés somnambuliques, les chamans et les hallucinés.

La charge du texte me pousse, a un moment, a interrompre ma lecture et à me tourner vers le visage de mon voisin, un jeune allemand qui, en ouvrant les yeux, étend vers moi légèrement ses doigts d’un sifflement, tandis que mes mains font vers lui le même mouvement.

Dans l’avion, le ciel rose, nous vivons un instant flottant : mon retour à Berlin se fera le coeur léger, de ce rose qui, de l’art et du circuit, aura été.

  • Pierre Huyghe, rétrospective, Musée National d’Art Moderne / Centre Pompidou, jusqu’au 6 janvier 2014 / informations
  • Librairie La Cartouche, 1 rue Lassus 75019 Paris, du Lundi au Samedi de 10h30 à 13h30, et de 15h30 à 19h30 / sur Yelp
  • Didier Michaux (dir.), “La transe et l’hypnose”, Imago, 1995.
  • Pacôme Thiellement, “Et le Temps devint tout David Lynch”, Remue.net, 2013

(1) Adolfo Bioy Casares, “L’invention de Morel”, 10/18. Dans le roman de l’argentin Bioy Casares, l’invention de Morel est un machine célibataire, sans circuit et activée par la marée, qui recouvre une île de projections de personnages. Ce livre, préfacé par Borges et qui aurait influencé le film “L’année dernière à Marienbad” comme la série “Lost”, est un conte philosophique portant sur les notions de projection, de représentation, du réel et de la fiction.

(2) L’ambition de l’œuvre pour Pierre Huyghe serait d’échapper à « ces effrayants ready-made d’imaginaire dans lesquels on se love, comme la religion, ou la culture » in Emmanuelle Lequeux, “The Host and the Cloud”, revue 02.

(3) “Le fusible un organe de sécurité dont le rôle est d’ouvrir un circuit électrique lorsque le courant électrique dans celui-ci atteint une valeur d’intensité dangereuse (ou plus généralement une valeur d’intensité donnée) pendant un temps déterminé, ramenant ainsi l’intensité de ce courant à zéro.” Wikipedia

Grand verre, moteur à explosion, vitesse

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“Tout commence par un voyage mémorable : une automobile roulant à tombeau ouvert sur la route du Jura à Paris. Nous sommes en 1912. Dans cette voiture, se trouve Duchamp, en compagnie de Gabrielle Buffet, d’Apollinaire et de Picabia. De cette expérience cinétiquo-érotique où la puissance virginale de la Mariée (« l’automobiline, essence d’amour ») se conjugue avec le désir cylindré des célibataires (les « moteurs à explosion »), l’artiste tire l’exigence impérieuse d’une œuvre. Il faut en faire quelque chose. Cela le conduit au Grand verre, qu’il est juste d’aborder, dans un premier temps, comme la transposition plastique d’une expérience de pure vitesse. Voyage intensif, instantané et immobile, qui trouve son expression rigoureuse dans l’idée du déplacement invisible des formes dans un espace « sans orientation », mais à quatre dimensions (…) Il fallait que la ligne soit autre chose qu’un tracé, ou une trajectoire. Il fallait qu’elle fende pour ainsi dire l’espace lui-même. D’où l’idée de l’engendrer activement à partir d’une fiction d’espace, au lieu de se donner l’espace tout fait pour le sillonner en tous sens.”

  • Elie During, Mondes virtuels et quatrième dimension : Duchamp, artiste de science-fiction, revue Alliage n°60 / Science fiction (article en ligne)

Appel : Bibliothèque des lieux uniques

collection morel - photo Philppe Lebruman

Il existe des lieux spéciaux, uniques, qui offrent des expériences esthétiques et sensibles particulières. Dans ces espaces, nous nous projetons : par effet de réflexion, une poétique s’opère.

Ils peuvent être des jardins, des recoins, des passages, des architectures, des paysages comme des territoires. Ils n’existent parfois que dans l’imaginaire et la fiction, ou ne sont connus que d’un tout petit nombre.

Ces lieux résonnent : mis en circuit avec notre imaginaire, ils oeuvrent et provoquent l’intuition, offrant de nouvelles alvéoles d’expérimentation.

Ces lieux, ainsi que les espaces et les dynamiques d’individuation qu’ils ouvrent, sont les objets de la Collection Morel, une proposition sur les lieux, l’expérience sensible des lieux et l’espace de la pensée qui aura lieu à PointCulture Bruxelles, au mois de mai 2014.

Dans ce cadre, nous proposerons notamment une Bibliothèque des lieux uniques qui rassemblera des témoignages d’expériences de lieux. Les témoignages devront répondre à ces deux questions : pourquoi ce lieu est-il unique ? Que s’est-il passé ?

Les participations doivent être sur format A4 recto simple, format portrait, et être accompagnées d’un titre. Elles peuvent comporter des images, comme être sur plusieurs feuillets, manuscrits ou tapuscrits, envoyés par messagerie ou par courrier. Elles doivent idéalement nous parvenir avant le 30 avril 2014, mais les dépôts resteront possibles après.

Collection Morel – contact@collection-morel.com
Association Disco-Babel, 24 avenue du Château, F-94300 Vincennes
Photo : Philippe Lebruman / Collection Morel

Collection Morel est un projet de Studio Walter

La grande oeuvre du temps

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  • Extraits de “La grande oeuvre du temps” d’après John Crowley, Studio Walter 2013