“J’ai longtemps réfléchi sur comment créer des espaces où l’on peut se retirer et y trouver du repos, où l’on peut voir, entendre et se concentrer, où l’on est coupé du monde extérieur tout en y participant. Ils doivent être simples, vides et créer une ambiance de silence, avec l’aide de l’art ou de la musique, ou les deux combinés.
Je cherche des endroits qui peuvent être cachées, dans des appartements privés, dans des bâtiments publics, qui peuvent être dans la cave, ou solitaires dans une forêt, près d’un lac, ou dans la ville bruyante. Ils doivent être éparpillés partout : à Berlin, où j’habite, à Tokyo, Los Angeles ou New York ; le monde entier pourrait être couvert d’un réseau encore plus étroit de ces zones de calme, devenant des niches artistiques écologiques pour chacun.
On devrait y avoir accès à des moments précis et avoir le droit d’y entrer seul. Selon moi, le simple fait que des zones de tranquillité existent peut aider à calmer ce monde. Les lieux de quiétude ne sont pas nécessairement acoustiquement silencieux ; ils peuvent, au contraire, être bruyants ; ils sont donc tranquilles à une échelle différente. Au sein de la Société pour l’Art Actuel à Brême, en début d’année, j’ai fait mes premiers pas vers ce genre d’espace. Musique de Chambre n°1 en était le titre : une petite pièce vide à l’exception de deux colonnes blanches rectangulaires surmontées d’enceintes. Les enceintes étaient dirigées vers le milieu de la pièce, devant il y avait une chaise où l’on pouvait s’asseoir et, avec la musique dans son dos, regarder, à travers les fenêtres, le Pont Weser avec toute sa circulation et le fleuve. Dans ce cas, la musique était très importante, si importante que l’on n’était pas sensé se concentrer dessus, et l’on avait d’autant plus de raisons de regarder à travers la fenêtre. La musique émanant des deux enceintes fusionnait au niveau du cou de l’auditeur, et il le sentait précisément à cet endroit.
Je réfléchis à d’autres lieux de ce type, certains sans fenêtres, des pièces contenant une seule œuvre : une plaque de fer flottante, par exemple, qui semble flotter à travers la musique, flotter calmement… Je réfléchis à des endroits dans lesquels on peut se retirer seul, des pièces qui créent une ambiance de silence, mais pas un silence stupide… comment dire… un silence actif, une sorte d’état de suspension, de quiétude.
Il y a plusieurs œuvres que je pourrais confier à de tels lieux, de simples textes peut-être, ou des pigments jaunes et bleus, ou des enceintes qui respirent…”
- Rolf Julius, 1987, sur le site de Cortex Athletico, via Nicolas Giraud. Photo : Archives Rolf Julius, Cortex Athletico.
- Egalement : Virginia Woolf (chambres à soi), Yves Citton (vacuoles) et Harmut Rosa (chambres de décélération).